Les langues maternelles ou la prétendue identité ivoirienne

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S’il est une tendance chez certains intellectuels ivoiriens, c’est bien la mode du plus-que-fameux retour aux sources ; et ce go back to the past ne serait possible que par le truchement d’une révolution linguistique. Soyons plus clair et parlons comme eux : la seule et unique voie pour les ivoiriens (je préfère restreindre cet article à la Côte d’ivoire de peur de m’attirer la foudre de ces millions d’africanistes) de retrouver leur identité perdue ( ?) est la survalorisation des langues maternelles. Plutôt nihiliste comme projet social.

Les langues maternelles ont bel et bien droit de citer, mieux droit d’exister dans le débat identitaire qui prévaut dans la société ivoirienne contemporaine. Et concevoir des programmes qui permettraient que ces trésors socio-ethnologiques ne disparaissent est impérieux. Penser et dire le contraire serait, indéniablement, pousser la société ivoirienne dans une profonde crise d’amnésie (si cela n’est déjà pas le cas).

Mais ne poussons pas le bouchon identitaire jusqu’au point du non-retour. Car aller jusqu’à affirmer que les langues maternelles nous permettraient de savoir qui nous sommes, savoir où nous allons, et ce que nous désirons être, revient à s’inscrire dans une dynamique de l’illusionnisme identitaire et de l’obscurantisme intellectuel.

Il est évident que la langue est le critère, l’indice principal de définition de l’identité d’un peuple, d’une communauté, d’une société, d’un individu. De nombreuses études sociologiques et philosophiques l’ont prouvé. Et c’est à juste titre que Ion Vezeanu soutient que « le critère langagier […] est un critère ontologique (car constitutif) et épistémique (car cognitif) de l’identité de la personne à travers le temps. » Et Thierry Menissier de renchérir que « pour se constituer réflexivement et pour être reconnue par un tiers, la subjectivité a comme condition fondamentale de possibilité l’efficience du langage [qui] occupe une des premières places, en tant qu’il est le moyen de rassembler les hommes (il est donc une condition de la civilisation elle-même) et le vecteur des valeurs dont l’affirmation permet aux membres d’une même culture de s’identifier et de se distinguer. »

Honnêteté analytique oblige ! Si les langues maternelles doivent permettre de faire apparaître le lapin blanc de l’identité dans le chapeau magique du passéisme, c’est dire que la cage ne contient pas de lapins : nous n’avons donc pas d’identité. Ils préféreront dire que nous n’en avons plus. Lol. Et pour faire miroiter cette théorie bégayante, on nous brandit le sankofa. J’aimerais bien voir cet animal mythique avancer. Soit il tournerait en rond, soit son avancée serait stagnante. Symbole de la progression d’un continent ?

Quelques questions essentielles s’imposent. Quelle langue parlons-nous ? Le français. Comment avons hérité de cette langue ? Par la ruse, les balles, les fouets du colon et le mystère de l’école, pour la génération 60 et celles d’avant, puis culturellement pour les générations subséquentes.         Résultat ? Nous pensons en français. Nous nous exprimons en français. Nous rêvons même en français ! Encore lol. Nous ne sommes, toutefois, pas un TOM. Juste une communauté francophone.

Et s’il faut chercher des indices prégnants de notre identité, ce n’est pas dans la beauté de nos langues maternelles, ni dans une attitude intellectuelle passéiste et nihiliste, mais dans notre rapport quotidien avec la langue française, qui dans un cadre énonciatif se mue en discours (tel que le conçoivent les linguistes) épousant nos réalités culturelles contemporaines.

L’ivoirien contemporain pense et s’exprime en français. Et il a bel et bien une identité qui n’est pas que celle du passé. Pour la simple raison qu’il est un sujet transculturel (Merci Fernando Ortiz !). Se souvenir et valoriser ? Oui. Jeter du revers de la langue une évolution sociale, culturelle, linguistique donc identitaire pour participer de la résurrection d’une identité qui n’est plus ? Non !

Je suis pour la promotion des langues maternelles ivoiriennes. Cependant, qu’on ne chante pas un hymne nihiliste qui tendrait à faire croire que parler nos langues maternelles nous offriraient ; comme lors d’un miraculeux Noël, notre identité longtemps arrachée par l’amputation de notre mémoire collective.

Nous avons bel et bien une identité. Et elle se dit en français.

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